De la frontera. Passage des frontières et limites de l’interprétation
De la frontera. Border crossing and limits of interpretation
Programme Intensif de Cádiz – PDF
UCA. Facultad de Filosofía y Letras
CÁDIZ
2-9 juillet 2025
Qu’est-ce une frontière ? Un mur, des barbelés, un cours d’eau, un obstacle naturel qui délimite des confins géographiques ? ou serait-elle un pur fantasme qui fait surgir l’autre qui devient alors l’objet de nos peurs ? Et faut-il craindre l’autre ? Est-il toujours un ennemi ? « Toute frontière est remède et poison », a dit le philosophe Régis Debray dans Eloge des frontières (2010), qui propose aussi de distinguer entre la frontière et le mur. C’est qu’on peut franchir une frontière alors qu’il faut abattre un mur, chose qui se fait dans la violence et il y aura alors, inévitablement, des dégâts.
Les frontières ont du bien, on commencera par admettre cette idée. Elles protègent, parfois dessinent les contours de l’état-nation, elles créent un espace où il peut y avoir des valeurs partagées. Mais la frontière a à voir aussi avec la mort et c’est à ce moment également qu’elle devient mur. Si tu fais un pas de plus… Et on entend un bruit de fusil, un corps tombe… Disons d’une autre façon encore qu’il existe une dialectique de la frontière et qu’elle intervient aussi, dans notre univers de « littéraires », quand nous parlons de l’acte de lecture et de sa complexité. Il n’y pas de communauté possible – aussi pour ce qui concerne la reading community – si celle-ci ne parvient à se signaler par ses frontières. D’un autre point de vue, il est incontestable que la communauté s’enrichit, s’élargit, voire s’affermit quand elle admet le passage des frontières. « Toute littérature est un assaut contre la frontière », a dit Kafka dans son journal. Alain de Benoist, dans L’exil intérieur (2022), pour sa part ajoute : « Sans la conscience d´une limite, sans le tracé d´une frontière, toute entité individuelle ou collective se défait pour devenir informe ». Il en va aussi d’un point de vue anthropologique, politique, existentiel ; on y ajoutera, pour le programme intensif de Cadix : d’un point de vue littéraire.
Quand je lis un texte, et que je fais un effort pour l’expliquer, y aurait-il là aussi des frontières à franchir ? Et peut-il arriver qu’en lisant je me heurte à un mur, et qu’il me vienne l’envie de l’abattre ? Umberto Eco avait réfléchi dans cet ordre d’idées aux « limites de l’interprétation » (Eco, 1992 – Traduction française). On pourra peut-être parler de la même manière ou presque de frontières interprétatives en les traitant alors comme des frontières géographiques et en faisant intervenir la même dialectique. Bien lire, c’est oser affronter les frontières, les explorer, parfois les braver. Mais il est tout aussi évident que des frontières, des limites (Eco disait : limits of) doivent être fixées quand l’exercice de lecture est en cours. Il y a une distinction à faire, une frontière à établir, entre une interprétation valable et une interprétation « délirante ». La reading community a sûrement ici son rôle à jouer. Pour que mon interprétation, mon exercice d’explication de texte soient jugés valides, il me faut avoir l’aval de la communauté. Mais je puis aussi avoir l’impression que la communauté, qui lit avec moi par-dessus mon épaule, m’impose des contraintes, voire me censure. Il me vient alors une envie de me révolter, de secouer le joug que l’on veut m’imposer. Le lecteur, comme le citoyen, veut être libre et c’est son droit le plus strict. Mais il lui faut bien admettre que, pour qu’il puisse exercer sa liberté, en lisant, en explorant, voire en écrivant – il existe aussi une lecture écrivante –, un espace délimité, un cahier des charges, une série de contraintes sont nécessaires. Bref, et comme l’explique très bien Régis Debray, le « sans-frontiérisme », dans sa version naïve, risque d’être un leurre, une fuite, une lâcheté et le problème existe aussi pour qui aime les livres et qui a la passion de les faire « parler ». Nous avons alors besoin d’être bons stratèges, autrement dit : de ruser avec les frontières, en les respectant tout en les traversant.
Lors de l’université d’été de Cadix, « aux confins de l’Europe » comme disent les guides touristiques, nous allons réfléchir collectivement, à l’aide d’exemples concrets et d’ « études de cas », à ces questions.
Sujets possibles :
– Représentation des frontières dans les textes littéraires de toutes les époques
– Représentation des frontières dans les arts visuels
– Frontières des langues et problèmes de traduction
– La lecture « délirante », comment l’identifier, voire la stopper ?
– Lecture et censure, le phénomène des sensitive readers
– Le wokisme en littérature (inclusivité vs exclusion)
– « Aventures » des frontières dans le roman
– Sémiotique des murs
– Techniques de « déconstruction » en littérature
– Critique de création et limites de l’interprétation
– Autres en rapport avec la problématique de l’IP
Organisation : Victoria Ferrety Montiel, Maria Cabral, Franc Schuerewegen.